menu

mercredi 1 mai 2013

Une généalogie lourde

« Et tout d'abord j'épouserai, si Dieu veut, Marie D. Admets cela comme un acte de ma volonté, il ne s'agit pas là d'une vaine séduction et tu sais bien comment j'ai été séduit. Il ne s'agit que de ma volonté et si, dans cette pleine possession de soi, cet acte t'en déplaît, c'est que tu ne m'aimes pas encore comme je dois l'être. ». Georges Bataille, Lettre à Marie-Louise Bataille. 9 août 1919

Une Généalogie Lourde

Georges Bataille voulut se marier avec une des grandes sœurs de son ami d’enfance Georges Delteil ; Marie (née le 18 août 1898). Nous avons trace de ce désir dans une lettre datée du 10 janvier 1918. Il l'évoque alors comme une possibilité parmi d'autres. Ce n'est que l'année d'après se décide à faire sa demande, ne voyant plus le mariage comme une possibilité parmi d'autres, mais comme étant la seule désirable.
La main de Marie lui fut refusé. Il semble que ce refus ait porté non pas sur la personnalité de Georges, qui à l’époque n’était pas encore celui qu’il sera—il était alors en effet épris de religion, sage, et faisait la fierté du village—mais sur sa famille, ou plutôt sa généalogie et les risques qu’elle faisait encourir à une éventuelle descendance.
En effet, il y a un cas avéré de consanguinité, éventuellement un deuxième (mais Michel Surya, dans sa biographie, considère cela douteux et penche plutôt pour une simple homonymie). Plus inquiétant, plus proche et de plus de poids : la syphilis du père, déjà contractée et à un stade avancé quand Bataille fut conçu et les récentes crises de folie de la mère.
Tout cela ne pouvait que laisser craindre le pire.

Le plus étonnant dans ce refus est que Georges donne raison aux parents de Marie et partage leur avis. Il s’attriste, se désespère même (« je me serais tué assez volontiers » avoue-t-il dans sa lettre du 29 octobre 1919) mais il ne se révolte ni ne s’indigne. Il s’en étonne encore moins : il sait en effet « ce que son mariage peut avoir d’inconvénients, c'est-à-dire que peut-être, il a plus qu’un autre des chances d’avoir un enfant malsain ; et [il] trouve assez juste qu’on l’écarte » seulement, reproche-t-il, « il fallait le faire un peu plus tôt », avant que les deux enfants ne se lient ensemble par un amour réciproque et nourri par l’espoir d’une union autorisée et possible.

Dans un premier temps, il semble qu'encore une fois, Bataille ne parvienne pas à se faire une raison :
« voilà que Marie D est pour ainsi dire perdue pour moi et que je l'aime de toute ma droiture avec la volonté d'outrepasser même la volonté ».
Mais devant le caractère inéluctable du refus, il ne peut que s'y plier lui-même :
« Et en somme, avec Marie D tout est bien fini. Jeanne [Jeanne Delteil (22 février 1897) était la grande sœur de Marie et de Georges Delteil] lui a écrit de ne pas se faire d'illusions parce que ses parents n'accepteraient jamais […] Il reste que je n'ai en quelque sorte plus un seul espoir de ce côté car elle est bien trop une fille obéissante et, d'ailleurs, je ne l'accepterais pas autrement que du bon gré de ses parents. »


Cette union avec Marie Delteil était à plus d’un titre importante pour Georges Bataille. Déjà parce qu’il l’aimait. Mais plus important parce qu’en été 1919, ayant vu l’échec de ses espoirs religieux et ne pouvant se résoudre à une vie tout à fait profane, il voyait en cette union avec la sœur de son ami une voie médiane qui lui aurait permis de vivre malgré tout selon ses principes religieux. La dernière qui lui permettait encore de se raccrocher à son désir de vie pieuse. Il annonce ce projet de mariage comme un « tiède idéal de vie familiale—chrétienne certes—mais encore pleine de jouissances terrestres aussi médiocres qu’honnêtes » dans sa lettre du 10 janvier 1918. On sait que Bataille déjà à l’époque a un caractère absolu, et qu’il ne supporte ni ce qui est tiède, ni ce qui ressemble de près ou de loin à un compromis avec ses aspirations les plus hautes. Il ne se plie à cette conciliation pleine de promesses que contraint par la force des choses et par la « faiblesse de son caractère » qui lui fermait les portes de la vie monacale.
En effet, incapable de se libérer entièrement des désirs de la chair qui le préoccupaient et l’angoissaient, mais en même temps incapable d’y souscrire et de les accepter platement comme simple dimension banale de l’existence terrestre, il voyait dans ce projet de mariage une échappatoire vers laquelle il pouvait tendre toute sa volonté. Cette union lui promettait d’une part de sauver à ses yeux une croyance religieuse qui, on peut le croire, était fortement ébranlée depuis son séminaire à la Barde, et de l’autre de le prévenir de tomber à nouveau par lâcheté dans les faiblesses du corps et de ses plaisirs fades (et Paris, où il menait alors ses études, n'était pas avare de ces plaisirs-là). C’était, on le voit, un idéal compensatoire qui l’aurait consolé de l’ancien, seul vrai, dont il aurait su se contenter, et dont l’échec, s’ajoutant aux autres, a très certainement joué son rôle dans le changement d’attitude qui sera le sien à son retour d’Espagne.


Sources
Michel Surya : la Mort à l’œuvre. Editions Seguier. 
Choix de Lettres. Gallimard.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire