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dimanche 7 avril 2013

La conversion

« Mon père, irréligieux, mourut refusant le prêtre. A la puberté, j’étais irréligieux moi-même (ma mère indifférente). Mais j’allai voir un prêtre en août 14 et, jusqu’en 1920, restai rarement une semaine sans confesser mes fautes ! » 
 Georges Bataille, Le Petit.

La Conversion

Georges Bataille vient d’une famille irréligieuse, en tout cas le père l’est et il semble que la famille l’ait suivi au moins en partie sur cette voie. C’est donc contre l’avis et l’exemple de ce père que Georges Bataille se convertit au catholicisme, en 1914, dans un cadre qui ne laisse pas d’être important : les offices matinaux auxquels il va assister à la cathédrale de Reims sont destinés aux militaires et se font dans un climat de guerre. Plusieurs mystères entourent cette conversion : mystère autour du pourquoi surtout, de ses motivations aussi, de ce qui l’a permis enfin.

On sait que vers treize ans, l’amour que le philosophe portait à son père s’est mué en haine, et qu’il se réjouissait du malheur et des douleurs de son géniteur. Il se peut donc fort bien que cette conversion soit un défi, un moyen de se détacher et de défier son père. Mais s’il n’y avait que cette raison, on ne pourrait que difficilement rendre compte de la ferveur avec laquelle, pendant dix ans, Bataille crut en Dieu et fut religieux. Il nous le dit lui-même, il ne se passait pas une semaine sans qu’il ne se confessa et, plus encore, il songea même entrer dans les ordres, moins comme prêtre que comme moine (voir la lettre du 30 janvier 1918).
Il faut donc plutôt pencher pour une interprétation moins puérile ; et estimer que c’est par foi que Bataille se convertit, et qu’il le fit volontairement. On sait qu’il voulu de lui-même être admis en tant que pensionnaire au Lycée d’Eperney, et qu’il fit sans doute cette demande afin de fuir le foyer dans lequel rien ne pouvait le retenir et qu’il avait tout intérêt à fuir. Il faut se souvenir de ce qu’il dira plus tard : il sortit de ce foyer « détraqué pour la vie », et que ce qu’il y vécu le faisait encore trembler cinquante ans après les faits. Et se souvenir surtout de ce que Martial lui dira dans une lettre : « j’ai passé auprès de nos parents des jours et des jours qui n’étaient que chagrin et désespoir. C’est inimaginable, car j’ai vu ce que tu n’as pas vu, ce que personne n’a vu. Des événements qu’on ne connaît pas et dont on n’a jamais soupçonné l’existence. »

Il ne serait pas étonnant que son climat familial ait été un des motifs de sa conversion, même, sans doute cela est indéniable. Mais il reste à savoir dans quel sens cela a pesé, car il est évident que ce n’est pas une consolation qu’il ait cherché dans le christianisme, comme on pourrait le croire de prime abord. S’il s’est tourné vers la religion pour donner sens et valeur à ses souffrances et à celles de son père, il ne le fit certainement pas pour en alléger le poids, pour s’en consoler. Les lectures chrétiennes qui le marquent ne sont pas des livres consolateurs, ou alors le sont-ils d’une manière bien paradoxale ; ils sont bien plutôt dans l’accusation de la chair, du désir, dans l’incitation à ne voir que le péché et à s'en maudire. Les écrivains qu’il lit avec le plus d’avidité sont de véritables contempteurs de l’espèce humaine soumise à la pourriture et au péché. C’est donc une lecture qui vient redoubler ses souffrances et ses angoisses, qui viennent l’accuser et l’humilier en tant qu’homme et en tant que souffrant, le désignant, lui, l’origine même de souffrances inévitables et sans recours.

Autre grand mystère autour de cette conversion : on ne sait pas comment il en vint au catholicisme (et à la religion en général). Les commentateurs anglais on pris l’habitude d’émettre l’hypothèse confortable d’une entrée en religion par l’entremise d’un de ses camarades d’Eperney, Paul Leclerc, sur lequel on ne sait rien, et qu’on ne connaît que par quelque rares lettres de jeunesse de Bataille où il le présente comme un fervent catholique. Cela montre qu’il le connaissait bien, que les deux étaient amis et étaient restés en contact, qu’ils se connaissaient par le lycée et par leur foi, mais cela ne permet pas d’aller plus loin. Il se peut que Bataille soit venu à la religion par Paul Leclerc, mais il peut tout aussi bien y être venu grâce à une toute autre personne, ou même de lui-même, aussi étrange que cela puisse paraître. Il affirmera plus tard, après tout, avoir eu la révélation à cette époque que sa tâche sur terre était de créer une philosophie paradoxale ; commencer cette philosophie par le catholicisme alors qu’il est issu d’une famille anticléricale ne serait pas le moindre des paradoxes.


Un Contexte Chargé


Mais au delà de tous ces mystères, il ne fait aucun doute que le contexte particulier qui vit naître cette vocation joua un rôle dans la nature du catholicisme de Bataille. C'est en 1914 en effet qu'il se convertit, se rendant chaque matin aux offices que le Cardinal Luçon destinait aux armées qui, stationnées à Reims, attendaient de monter au front. Offices qui portaient au sacrifice et au courage. Il en fait mention d'ailleurs dans son Notre-Dame de Rheims :
« le matin, le cardinal, dans un silence et dans une ferveur suprême venait dire, pour la France, la messe et c'était comme à la veille d'un martyr parce qu'on attendait des choses trop grandes. Il avait voulu venir prier parmi les siens, à cause de leur angoisse ».
C'est dans un contexte de tension, d'angoisse, de peur, dans un contexte qui pousse les sentiments à s'enfler démesurément qu'il se convertit, c'est un catholicisme exalté et angoissé qu'il connu en premier lieu, intimement lié à son expérience de la première guerre mondiale, et qui se poursuivra, aussi passionné et exalté, à travers ses futures lectures (surtout avec le Latin Mystique) et la ferveur désespérée dont il fera preuve.


Sources
Michel Surya : la Mort à l’œuvre. Editions Seguier.
Georges Bataille : Choix de lettres, Gallimard.
Georges Bataille : Le Petit. Editions Pauvert.
Georges Bataille : Histoire de l’œil, O.C. tome premier Editions Gallimard.
Georges Bataille : Notice autobiographique, O.C. VII


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