« Mon père, irréligieux, mourut refusant le prêtre. A la puberté, j’étais irréligieux moi-même (ma mère indifférente). Mais j’allai voir un prêtre en août 14 et, jusqu’en 1920, restai rarement une semaine sans confesser mes fautes ! »
Georges
Bataille, Le
Petit.
La
Conversion
Georges
Bataille vient d’une famille irréligieuse, en tout cas le père
l’est et il semble que la famille l’ait suivi au moins en partie
sur cette voie. C’est donc contre l’avis et l’exemple de ce
père que Georges Bataille se convertit au catholicisme, en 1914,
dans un cadre qui ne laisse pas d’être important : les
offices matinaux auxquels il va assister à la cathédrale de Reims
sont destinés aux militaires et se font dans un climat de guerre.
Plusieurs mystères entourent cette conversion : mystère autour
du pourquoi surtout, de ses motivations aussi, de ce qui l’a permis
enfin.
On
sait que vers treize ans, l’amour que le philosophe portait à son
père s’est mué en haine, et qu’il se réjouissait du malheur et
des douleurs de son géniteur. Il se peut donc fort bien que cette
conversion soit un défi, un moyen de se détacher et de défier son
père. Mais s’il n’y avait que cette raison, on ne pourrait que
difficilement rendre compte de la ferveur avec laquelle, pendant dix
ans, Bataille crut en Dieu et fut religieux. Il nous le dit lui-même,
il ne se passait pas une semaine sans qu’il ne se confessa et, plus
encore, il songea même entrer dans les ordres, moins comme prêtre
que comme moine (voir la lettre du 30 janvier 1918).
Il
faut donc plutôt pencher pour une interprétation moins puérile ;
et estimer que c’est par foi que Bataille se convertit, et qu’il
le fit volontairement. On sait qu’il voulu de lui-même être admis
en tant que pensionnaire au Lycée d’Eperney, et qu’il fit sans
doute cette demande afin de fuir le foyer dans lequel rien ne pouvait
le retenir et qu’il avait tout intérêt à fuir. Il faut se
souvenir de ce qu’il dira plus tard : il sortit de ce foyer
« détraqué pour la vie », et que ce qu’il y vécu le
faisait encore trembler cinquante ans après les faits. Et se
souvenir surtout de ce que Martial lui dira dans une lettre :
« j’ai passé auprès de nos parents des jours et des jours
qui n’étaient que chagrin et désespoir. C’est inimaginable, car
j’ai vu ce que tu n’as pas vu, ce que personne n’a vu. Des
événements qu’on ne connaît pas et dont on n’a jamais
soupçonné l’existence. »
Il
ne serait pas étonnant que son climat familial ait été un des
motifs de sa conversion, même, sans doute cela est indéniable. Mais
il reste à savoir dans quel sens cela a pesé, car il est évident
que ce n’est pas une consolation qu’il ait cherché dans le
christianisme, comme on pourrait le croire de prime abord. S’il
s’est tourné vers la religion pour donner sens et valeur à ses
souffrances et à celles de son père, il ne le fit certainement pas
pour en alléger le poids, pour s’en consoler. Les lectures
chrétiennes qui le marquent ne sont pas des livres consolateurs, ou
alors le sont-ils d’une manière bien paradoxale ; ils sont
bien plutôt dans l’accusation de la chair, du désir, dans
l’incitation à ne voir que le péché et à s'en maudire. Les
écrivains qu’il lit avec le plus d’avidité sont de véritables
contempteurs de l’espèce humaine soumise à la pourriture et au
péché. C’est donc une lecture qui vient redoubler ses souffrances
et ses angoisses, qui viennent l’accuser et l’humilier en tant
qu’homme et en tant que souffrant, le désignant, lui,
l’origine même de souffrances inévitables et sans recours.
Autre
grand mystère autour de cette conversion : on ne sait pas
comment il en vint au catholicisme (et à la religion en général).
Les commentateurs anglais on pris l’habitude d’émettre
l’hypothèse confortable d’une entrée en religion par
l’entremise d’un de ses camarades d’Eperney, Paul Leclerc, sur
lequel on ne sait rien, et qu’on ne connaît que par quelque rares
lettres de jeunesse de Bataille où il le présente comme un fervent
catholique. Cela montre qu’il le connaissait bien, que les deux
étaient amis et étaient restés en contact, qu’ils se
connaissaient par le lycée et par leur foi, mais cela ne permet pas
d’aller plus loin. Il se peut que Bataille soit venu à la religion
par Paul Leclerc, mais il peut tout aussi bien y être venu grâce à
une toute autre personne, ou même de lui-même, aussi étrange que
cela puisse paraître. Il affirmera plus tard, après tout, avoir eu
la révélation à cette époque que sa tâche sur terre était de
créer une philosophie paradoxale ; commencer cette philosophie
par le catholicisme alors qu’il est issu d’une famille
anticléricale ne serait pas le moindre des paradoxes.
Un Contexte Chargé
Mais
au delà de tous ces mystères, il ne fait aucun doute que le
contexte particulier qui vit naître cette vocation joua un rôle
dans la nature du catholicisme de Bataille. C'est en 1914 en effet
qu'il se convertit, se rendant chaque matin aux offices que le
Cardinal Luçon destinait aux armées qui, stationnées à Reims,
attendaient de monter au front. Offices qui portaient au sacrifice et
au courage. Il en fait mention d'ailleurs dans son Notre-Dame
de Rheims :
« le
matin, le cardinal, dans un silence et dans une ferveur suprême
venait dire, pour la France, la messe et c'était comme à la veille
d'un martyr parce qu'on attendait des choses trop grandes. Il avait
voulu venir prier parmi les siens, à cause de leur angoisse ».
C'est
dans un contexte de tension, d'angoisse, de peur, dans un contexte
qui pousse les sentiments à s'enfler démesurément qu'il se
convertit, c'est un catholicisme exalté et angoissé qu'il connu en
premier lieu, intimement lié à son expérience de la première
guerre mondiale, et qui se poursuivra, aussi passionné et exalté, à
travers ses futures lectures (surtout avec le Latin
Mystique) et la ferveur
désespérée dont il fera preuve.
Sources
Michel
Surya : la
Mort
à l’œuvre.
Editions Seguier.
Georges
Bataille : Choix
de lettres, Gallimard.
Georges
Bataille : Le
Petit. Editions
Pauvert.
Georges
Bataille : Histoire
de l’œil, O.C. tome
premier Editions Gallimard.
Georges
Bataille : Notice
autobiographique, O.C.
VII
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