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dimanche 7 avril 2013

Famille de Georges Bataille

Sources « Quand je pense à ma folle angoisse, à la nécessité où je suis d’être inquiet, d’être en ce monde un homme respirant mal, aux aguets, comme si tout allait lui manquer, j’imagine l’horreur de mes paysans d’ancêtres, avides de trembler de faim, de froid, dans l’air raréfié des nuits ».  Georges Bataille, L’impossible.


La Généalogie de Georges Bataille

Du côté paternel :

On sait assez peu de choses sur les arrières grands-parents de Bataille. Au-delà de la simple liste des unions, on ne dispose que de peu d’informations sur ce niveau de la généalogie.
Jean Ribière, né environ en 1788, était maître maçon. Il s’est marié avec Antoinette Constant et eu d’elle au moins une fille : Louise Ribière, Grand-mère paternelle de Georges Bataille. Il avait 38 ans quand elle est née.
Jean-Pierre Bataille, né en 1762 en Ariège, était aubergiste. Il s’est marié avec Jeanne-Marie Pons et eu d’elle Jean-Martial Bataille, le grand père paternel de Georges Bataille. Il avait alors 53 ans.
Jean-Martial Bataille est né le premier juillet 1815, à Prat-et-Bonrepaux (Ariège). Il est Officier de Santé, instituteur et homme de lettres, il se marie le 8 juin 1847 avec Louise Ribière, institutrice également, née en 1826 dans la Garandie (Puy de Dôme). Ils auront ensemble deux fils : Michel-Alphonse en 1851 et Joseph-Aristide Bataille le 16 juillet 1853, tous deux à Gajan, en Ariège. C’est donc après leur naissance que la famille partit s’installer en Auvergne ; elle était jusqu’alors implantée dans le Midi-Pyrénées.


Du côté maternel :

On dispose de moins d’informations encore quant à la branche maternelle de la famille de Georges Bataille. On ne peut dérouler que le fil des unions successives sans rien pouvoir savoir des métiers et de la classe sociale de ses ancêtres directs.
Guillaume Basset, né en 1816, épouse Antoinette Tournadre, née en 1821. Ils donneront naissance à Anne Basset le 25 janvier 1844 à Riom-ès-Montagnes, dans le Cantal (Auvergne).
Antoine Tournadre, né en 1805, épouse Anne-Marie Pons née en 1812. Ils auront ensemble un fils qui portera mêmes nom et prénom que son père, Antoine Tournadre, né le 10 mars 1841 à la Caire, Riom-ès-Montagnes. Peu de temps après sa naissance, sa mère meurt. Anne-Marie Pons s’éteint le 2 juin 1841 à 29 ans. Antoine Tournadre (l’arrière grand-père) meurt quant à lui le 29 septembre 1858 à 53 ans.
Antoine Tournadre (grand-père) épouse Anne Basset. Ils ont ensemble deux filles : Antoinette-Aglaé Tournadre, le 3 avril 1865, et Marie-Antoinette Tournadre, le 7 mars 1868, toutes deux à Riom-ès-Montagnes.


La famille de Georges Bataille :

On a donc deux frères du côté paternel, deux sœurs du côté maternel. Michel-Alphonse Bataille épouse Antoinette-Aglaé le 3 février 1887 qui donnera naissance, cette même année, à leur fils aîné Victor Bataille, le 12 novembre à Riom, et, deux ans plus tard, à leur fille, Marie-Louise Bataille. Cette dernière sera traductrice et historienne de l’art. Elle restera sans enfants. Son frère Victor, lui, deviendra avocat, maire du Creusot et député. Il aura un fils, Michel Bataille, né le 19 mars 1926, issu de son union avec Geneviève Rocca. Victor mourra le 10 novembre 1975 à Neully-sur-Seine.
Le 6 novembre 1888, Jospeh-Aristide Bataille, le cadet du couple Ribière-Bataille, épouse la belle-sœur de son frère, Marie-Antoinette Tournadre. Ils auront ensemble Martial Bataille en 1890 à Cumlhat, Puy de Dôme, puis Georges Bataille le 10 septembre 1897 à Billom, Puy de Dôme également. Ce dernier aura deux filles : l’une, en 1930, avec Sylvia Maklès, l’autre, Julie, de Diane de Kotchoubey.
  

Eléments remarquables et consanguinité

Dans l’ascendance patrilinéaire, il n’y a rien de véritablement remarquable à noter. Mais dans l’ascendance matrilinéaire, il en va tout autrement. On y décèle un cas évident et particulièrement étrange de consanguinité.
Du mariage d’Antoine Tournadre et d’Anne-Marie Pons naît un garçon, qui porte étrangement le même nom que son père. Peu après sa naissance, sa mère meurt, et son père décède alors qu’Antoine l’enfant est encore jeune. Il se mariera avec Anne Basset, dont la mère est la sœur ou la cousine de son propre père ; le nom de jeune fille de la mère d’Anne Basset est en effet Tournadre. Anne Basset, donc, se mariant avec Antoine, retrouve le nom de jeune fille de sa mère, Tournadre, et même plus : devenue Anne Tournadre, c’est le nom de la mère d’Antoine Tournadre qu’elle prend, lui qui assumait déjà le nom de son père. C’est littéralement une union consanguine, et, par cette danse des noms, la « parodie » d’un inceste.
On remarque également que du côté des arrière grands parents paternels, un nom, Jeanne-Marie Pons, fait écho à celui d’Anne-Marie Pons, arrière grand-mère maternelle, si bien que l’on pourrait suspecter que les deux branches de la famille de Georges Bataille, la branche patrilinéaire et la branche matrilinéaire sont liées entre elles par le sang avant que de l’être par l’union. Ce qui serait un second cas de consanguinité, toutefois fort douteux.
Plus encore, on remarque qu’il y a comme un goulot d’étranglement dans la généalogie de Georges Bataille qui vient resserrer la famille sur elle-même. En effet, par le mariage croisé des deux frères et des deux sœurs, Antoinette-Aglaé Tournadre avec Michel-Alphonse Bataille, et Marie-Antoinette Tournadre avec Joseph-Aristide Bataille, leurs enfants respectifs, bien que seulement cousins et n’ayant pas le moindre parent en commun, se retrouvent à avoir les mêmes grands parents que ce soit du côté paternel ou maternel, repliant la famille sur elle-même.
Ces cas de consanguinité, cet enfermement sur soi de la famille, touchant l’ascendance matrilinéaire de Bataille, depuis toujours implantée à Riom, ont dû être de notoriété publique et on sait qu’associés à la maladie du père, ils ont pesé lourdement dans la vie du jeune Georges Bataille, lui fermant la possibilité d’un hymen que seule la crainte d’un bébé malformé contrariait.
Ce n’est pas là la seule conséquence de cette généalogie compliquée sur la vie de l’auteur. La relation incestueuse apparaît à plusieurs reprises dans son œuvre ; c’est un des thèmes du roman Ma Mère. Le schéma du double mariage entre les frères et sœurs se retrouve presque à l’identique pour ce qui est de son union avec Sylvia. En effet, Sylvia Maklès n’est autre que la sœur de Bianca Fraenkel, la femme d’un très bon ami de Bataille. C’est Fraenkel qui lui présenta Sylvia, et les deux amis épousèrent les deux sœurs. Ce n’est pas là, d’ailleurs, le seul motif d’étonnement quant au rapport de Bataille avec les femmes.

 

Georges Bataille et sa famille

Georges Bataille, à l’école des Chartes, parlait souvent à ses camarades de sa campagne, des animaux, du climat, dans des élans de nostalgie, et parle dans quelques textes, de ses ancêtres, les présentant comme des paysans angoissés, vivant dans et de la terre et soumis aux caprices et au rythme de la nature. Il dit en partager les angoisses et le caractère. On sait que du côté de son père, les paysans ne sont guère légions. On a affaire à des instituteurs, médecins, aubergiste, son père même, après avoir entamé des études de médecine, devint économe dans un collège, employé dans une prison, puis receveur-buraliste (un poste habituellement offert aux anciens militaires). Son père était donc un fonctionnaire, non un paysan. Il est possible que disant cela, Bataille pense d’avantage à ses ancêtres maternels, mais il est impossible de le confirmer. Cependant, il est vrai que même si sa famille est issue plus sûrement de la petite bourgeoisie que de la paysannerie, cela n’interdit en rien de penser que sa famille ait pu posséder des bêtes. On sait qu’il fut en contact avec des animaux de ferme, les chevaux, les vaches et les cochons étant présents de manière timide mais non négligeable dans plusieurs de ses textes, la figure animale étant toujours invoquée pour parler de ce qui échappe inévitablement, de ce qui excède la raison : la mort et l’extase amoureuse, que ce soit dans Le Petit, L’expérience Intérieure, Histoire de l’Oeil ou les autres textes et entretiens :
 « Par exemple, un jour, Sir Edmond fit jeter et enferma dans une étable à porcs très étroite et sans fenêtre une petite et délicieuse belle-de-nuit de Madrid qui dut s’abattre en chemise-culotte dans une mare de purin et encore sous des ventres de truie qui grognaient […] elle se déchira ensuite d’un seul coup et se déchaîna par terre comme une volaille égorgée » (Histoire de l’œil),

« mais la vraie nudité, âcre, maternelle, silencieusement blanche et fécale comme l’étable, cette vérité de bacchante, glands dans les jambes et les lèvres, est l’ultime vérité de la terre … » (Le Petit, c’est moi qui souligne),

« un chien dévorant l’estomac d’une oie » (L’Anus Solaire) 
 et, répondant aux questions de Marguerite Duras en 1957, il répond que la « vache dans un pré » est « l’apparence extérieure » qui exprime le mieux la souveraineté, c'est-à-dire la prééminence de l’instant, le mal, la vie qui échappe à l’emprise du temps à venir et aux calculs rationnels. Beaucoup d’autres pourraient encore être invoqués.
Ces origines paysannes, réelles ou seulement revendiquées, Georges Bataille prit l’habitude de les appeler son « immanence ». Elles cristallisèrent son opposition à Dieu et à la religion, qui au contraire représentent la « transcendance ». C’est là aussi le sens, la valeur et la « besogne » des références animalières de ses textes. Elles enracinent l’auteur, et avec lui l’homme, dans la terre, dans une relation horizontale avec ses ancêtres, avec les autres hommes, avec les animaux qui lui ont donné la vie ou rendent cette dernière possible, et les arrachent à cette relation purement égoïste qui unit verticalement l’individu libéré de tout contexte à un Dieu immuable. Mais cette revendication eut aussi des conséquences directes dans l’existence de Georges Bataille. Outre son apparence (Leiris, dans l’article De Bataille l’impossible à l’impossible Documents, parle de « son maintien alourdi », de « cet air quelque peu paysan que la plupart ont connu » ), Bataille se référait à ses ancêtres paysans pour justifier ses rapports à la nourriture et son goût pour les nourritures pourrissantes. Ainsi que le rapporte Michel Fardoulis-Lagrange dans son entretient avec le Magazine Littéraire (numéro 243, juin 1987) pour leur dossier consacré à Georges Bataille :
« Un jour, son boucher lui avait proposé du sanglier (un animal tué depuis quelque temps déjà et fort faisandé). Eh bien il le mangea, allant jusqu’au bout de son propos en disant qu’il était paysan et qu’il fallait absolument manger ce qu’il avait payé. C’est d’ailleurs en mangeant de ce sanglier faisandé que j’ai attrapé une jaunisse. On est venu me chercher en ambulance. Cela a d’ailleurs été la cause de mon départ de Vézelay. Il fallait toujours que Bataille fasse démonstration de ses origines paysannes, terriennes. »

 

Sources

Michel Surya : la Mort à l’œuvre. Editions Seguier.
Georges Bataille : Le Petit. Editions Pauvert.
Georges Bataille : Histoire de l’œil, L’Anus Solaire, O.C tome premier. Editions Gallimard.
André Masson : Nécrologie, Georges Bataille, BEC, 1964, tome 122
Francis Marmande : Le Pur Bonheur, Georges Bataille. Editions Lignes

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